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La Chine met la NBA face à son hypocrisie

La Chine met la NBA face à son hypocrisie 11 October 2019
Bill Baptist/Getty Images

C’est l’histoire d’un problème qui n’en aurait jamais dû être un. Un problème compliqué dans sa substance, mais des plus simples dans son apparence. Hong Kong est, depuis fin mars, le théâtre de manifestations en opposition à une loi, qui autoriserait le gouvernement chinois à extrader des Hongkongais suspectés de crimes vers la mère patrie. Cela et différentes préoccupations qui incluent violences policières et autre dissipation progressive des droits de l’Homme.

Vendredi dernier, Daryl Morey, le General Manger des Rockets, a tweeté son soutien aux protestataires hongkongais via une photo.

“Combattre pour la liberté, être aux côtés de Hong Kong.” Ni incendiaire, ni particulièrement spécifique. Morey n’a ni mentionné, ni promu la moindre revendication des manifestants. Il s’est seulement vaguement et fadement prononcé en faveur d’une liberté accrue pour un peuple qui en manque cruellement. Dans de normales circonstances, ce tweet banal en aurait touché une au monde du basket, sans faire bouger l’autre. 

Mais les circonstances ne sont pas normales, et d’un petit fichier .jpg est né un incident diplomatique. Tilman Fertitta, le propriétaire des Rockets, a publiquement réprimandé Morey avant d’aimer des commentaires appelant au renvoi de son GM, dans un excès de zèle et d’outrecuidance qui le caractérisent déjà.

Susdit GM qui a supprimé son tweet puis publié un communiqué d’excuses bien plus long et détaillé que le péché originel, son poste étant menacé. La CBA, le championnat chinois, a formellement cessé son partenariat avec les Rockets. Il est désormais impossible de trouver trace de marchandise aux couleurs des Rockets sur les plateformes chinoises de commerce en ligne, et Tencent, grand manitou de la télécommunication en Chine, a suspendu la diffusion de matches de Houston. 

La NBA, pour sa part, s’est d’abord contentée d’une réponse aussi incohérente que frauduleuse, clamant que son seul but était de rassembler les peuples. Kumbaya. Puis d’une seconde réponse carrément scandaleuse, sur les réseaux sociaux chinois, en mandarin, se disant “extrêmement déçue” de la prise de position “inappropriée” de Daryl Morey. 

Joe Tsai, le nouvellement instauré propriétaire des Brooklyn Nets, a décidé d’y apporter son grain de sel dans une lettre ouverte, qui rend prodigieusement l’avis des citoyens de Hong Kong quant à la gouvernance de leur territoire moins important que celui des Chinois. Oh et James Harden s’est aussi effrontément excusé, sans qu’il ne sache vraiment de quoi ni pourquoi.

À regarder ce tourbillon de communiqués, d’excuses et de désaveux, on confondrait presque cette histoire avec celle d’un profond débat culturel, mis au jour par le sport, et discuté au prisme d’une subtile nuance géopolitique. Que nenni. Il ne s’agit que d’une ridicule mascarade où argent et pouvoir sont maîtres. Le genre où des magnats se plient aux desiderata de régimes autoritaires pour un kopeck en plus.

Le marché chinois est crucial à l’expansion mondiale de la NBA et les Rockets en sont son bras armé, depuis que Yao Ming ait montré la voie vers la ligue pour des millions de ses compatriotes. Le gouvernement chinois, comme toute administration autocratique, se passionne de fabriquer des polémiques lui permettant de vanter une grandeur morale tout en allumant la flamme nationaliste de son peuple. Dans cette farce, tout le monde joue le rôle que lui dicte son environnement, sans aucun principe ni sincère foi en ce qu’il prêche.

La Chine n’a que faire de ce que Daryl Morey pense de Hong Kong. Et, personne dans les bureaux de la NBA ne pense que Morey soit fondamentalement en tort, plutôt qu’il ne soit stratégiquement stupide. Il est simplement dans l’intérêt de la Chine de forcer la NBA à ravaler ce qu’il lui reste de fierté, comme il est dans l’intérêt de la NBA de ravaler ce qu’il lui reste de fierté pour gagner de l’argent, encore et toujours.

UN PROGRESSISME À DEUX VITESSES

Rien de nouveau sous le soleil, sinon que tout cela nous rappelle, si besoin en était, qui nous sommes et ce que nous supportons. Nous supportons un conglomérat multi-milliardaire, qui ne voit aucun problème à s’unir à une dictature communiste tant que celle-ci lui remplit les poches. Et si cette hypocrisie est plus débilitante que d’autres, c’est parce que nous aimons à croire que le sport a des vertus qui dépassent le négoce stricto sensu, particulièrement quand il s’agit de la NBA.

Une ligue qui a retiré l’organisation du All-Star Week-end à Charlotte, parce qu’elle n’aimait pas une loi discriminatoire votée par la Caroline du Nord. Une ligue fière de la conscience socio-politique de ses joueurs et dirigeants, mais qui fait l’autruche devant sa propre opportunité de prendre position. Une ligue qui n’a pas attendu une semaine pour virer Donald Sterling de son sein, après la publication de ses propos racistes, mais qui impose un code vestimentaire parce qu’une partie de ses consommateurs est mal à l’aise à la vue de jeunes noirs, tatoués, portant des jeans baggy. Une ligue qui, en somme, ne fait croire en son progressisme que jusqu’à ce qu’il touche à son portefeuille.

En revenant sur le furtif moment de conviction de Daryl Morey, cette ligue a envoyé le message que la situation des Hongkongais était trop sensible pour qu’un de ses membres ne daigne s’exprimer dessus. Mais aussi celui que la cause des manifestants ne valait pas la peine de trouver une issue un tant soit peu courageuse. Ne pas vouloir prendre parti dans un conflit qui n’a rien à voir avec le basket est une chose. Laisser un État vous forcer à adopter ses points de vue en est une tout autre, parce qu’un partenariat fondé sur la soumission idéologique est l’opposé d’un partenariat. 

Tilman Fertitta peut-être aperçu ici et là à chanter les louanges de Donald Trump, mais puisqu’il nous dit que les Rockets sont apolitiques…

Seulement supprimer un tweet politique est un acte politique en soi. Les personnes et pays desquels on accepte de l’argent, les moyens usés pour obtenir cet argent sont des questions politiques. Ignorer ces questions ne les rend pas moins légitimes. 

Adam Silver est le commissaire de la NBA, pas le secrétaire général des Nations unies. Son seul et unique devoir et de maximiser les revenus de ses patrons, les 30 propriétaires de franchises, comme le rappelait déjà son prédécesseur en 2013.

Néanmoins, il est également de son ressort de poser les limites à franchir ou ne pas franchir pour gagner cet argent. Un pays prêt à abandonner toute relation économique avec une entité sportive pour un tweet, que son peuple ne peut même pas consulter, est un pays qui ne sera jamais satisfait. Si la NBA cède maintenant, à quand le prochain prétexte pour amorcer une fausse crise géopolitique ?

Le monde est ainsi fait que la morale n’a pas sa place dans les affaires. Mais sacrifier la morale au point d’être censuré par un partenaire totalitaire ne peut être bon pour les affaires non plus. La Chine a mis la NBA face à ses responsabilités. À la NBA de les assumer.