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David Stern, le Commish qu’on adorait détester

David Stern, le Commish qu’on adorait détester 2 January 2020

Lorsque David Stern a pris la suite de Larry O’Brien en tant que commissaire, le 1er février 1984, la NBA était mal en point. En 30 ans, il lui a permis de crapahuter des bords de l’insignifiance au prestige international, une idée inimaginable dans les sombres heures de la ligue, quand elle était sertie de scandales de drogues, de bagarres et que les finales étaient diffusées en différé. Il a fait plus que la sauver des abysses, il a chapeauté l’âge d’or du basket professionnel, l’ère des équipes mémorables, des superstars et des duels métempiriques.

Ce renversement de destinée est la raison pour laquelle il sera à jamais commémoré comme le plus grand leader que le sport professionnel nord-américain ait connu. Larry, Magic, Michael, Shaq et Kobe, hier. LeBron, Steph, Kawhi, Giannis et Luka, aujourd’hui. Qu’ils soient tous mondialement reconnaissables par leurs prénoms est l’œuvre de Stern. Il avait, mieux que quiconque, compris la valeur de l’expression de soi et l’attrait des personnalités.

Non, la renaissance de la ligue n’est pas le fruit de ses seules clairvoyance et sagacité. Il n’a ni façonné la rivalité entre Larry Bird et Magic Johnson ni donné à Michael Jordan ses capacités surhumaines. Mais, il n’est pas un seul dirigeant sportif ayant usé aussi adroitement des avantages à sa disposition, pas un autre commissaire ayant reconnu et exploité les ressources de son sport aussi justement. 

Si la disparition d’une personnalité publique offre le temps d’hommages attentionnés, elle doit aussi permettre le temps d’appréciations objectives. Peut-être fut-ce un léger syndrome de Stockholm, peut-être fut-ce de la nostalgie préventive, on a beaucoup plus estimé David Stern après qu’il ait pris sa retraite, que lorsqu’il était en fonction, quitte à en omettre ses échecs.

Il n’empêche qu’il était autant l’incarnation des plus grands succès de la NBA que celle de ses plus grands maux : les conflits salariaux et lockouts prolongés, la flambée des prix des places et gentrification des salles, la promotion d’individualités au détriment des équipes. Des afflictions tangibles dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. 

D’autres telles l’altération de loteries de draft ou de décisions arbitrales relèvent du complotisme, mais le personnage impérieux de Stern et son penchant condescendant n’ont fait qu’encourager ces théories. Son pouvoir et son ostensible volonté de l’exercer immodérément ont donné vie à des idées, dont les légendes sont parties avec lui.

Beaucoup des critiques émises à son égard peuvent être dépeintes comme malavisées ou simplement fictives, mais certaines sont indissociables de son héritage. On tend souvent à évaluer le mandat d’un patron de ligue en audience télévisuelle, en affluence et en croissance. Sous Stern, la NBA est passée de 23 à 30 équipes, ses revenus de 165 millions à 5,5 milliards de dollars et ses matches sont désormais diffusés dans 215 pays et territoires, de quoi en faire le deuxième sport le plus populaire du monde.

Néanmoins, les responsabilités d’un commissaire incluent également d’agir dans l’intérêt du jeu et de ceux à qui il appartient : pas les 30 milliardaires propriétaires d’équipes, mais les millions de fans émotionnellement attachés à leur franchise favorite et heurtés par leur déménagement. Entre 2001 et 2012, quatre équipes (Vancouver, Charlotte, New Jersey et Seattle) ont changé de ville avec la bénédiction de Stern. Les fans de Sacramento ont été tourmentés pendant deux longues années par la menace de voir leur équipe partir à Anaheim, puis à Seattle, le contribuable de Milwaukee forcé de financer la nouvelle salle des Bucks sous peine de subir le même sort. 

Ces faillites sont des taches indélébiles sur le bilan de Stern. Aucune autre ligue au monde n’a connu pareille instabilité géographique sur une période aussi courte. L’exemple de Charlotte, en 2002, est particulièrement frappant par son caractère vénal. Le soutien de la ville et ses habitants à leur équipe de basket avait largement et naturellement faibli après que le propriétaire George Shinn soit accusé d’enlèvement et d’agression sexuelle. Plutôt que de l’inviter à revendre la franchise, comme le fera plus tard son successeur Adam Silver avec Donald Sterling, Stern a appuyé son déménagement à New Orleans.

Fatigué de perdre de l’argent, dans le plus petit marché de ligue, Shinn mettra finalement les Hornets en vente en 2010. Et quand aucun racheteur viable ne s’est montré intéressé, la NBA, elle-même, a dû passer à la caisse et devenir propriétaire de la franchise. Une décision à l’origine du veto au trade de Chris Paul aux Los Angeles Lakers, une autre tache de sa mandature, qui a participé de son image de manipulateur.

Le dress code, l’intolérance décomplexée

Après la deuxième retraite de Michael Jordan en 1999, les audiences n’ont cessé de chuter et le schisme socio-culturel entre le public et les joueurs de s’accroître. Le tout culminant en Malice at the Palace, un soir de novembre 2004.

10 minutes d’une violence inouïe en direct à la télévision. Un problème profond que David Stern avait opté de régler avec un ravalement de façade : l’institution d’un dress code pour les joueurs, au début de la saison suivante. Une guerre ouverte contre la culture la plus présente et la plus influente de la ligue pour apaiser l’Amérique puritaine, mal à l’aise à la vue de jeunes noirs millionnaires, portant bijoux et jeans baggy. Ajouté à cela l’existence prolongée de Donald Sterling dans l’univers de la NBA, la carrière d’arbitre de Tim Donaghy jamais remise en question avant l’enquête du FBI, ou l’excès de zèle contre les Phoenix Suns en 2007, et les faux-pas de Stern sont finalement assez nombreux.

Mais, ces accomplissements le sont encore plus et sont bien plus fondamentaux : des suspensions salvatrices des All-stars John Drew et Micheal Ray Richardson, dépendants à la cocaïne, aux créations de la WNBA et de la G-League en passant par la Dream Team, à laquelle il était initialement opposé avant d’en faire le parfait vecteur de la NBA en marque universelle. Et n’en déplaise aux rabat-joies faussement puristes et adeptes des scores finaux 81-78, l’élimination complète du hand-checking en 2004 a rendu le jeu plus ouvert, plus rapide et simplement meilleur.

Stern n’aurait jamais duré 30 ans en charge de la ligue seulement grâce à ses qualifications ou son autorité. À défaut de rendre toutes ses décisions populaires, son charme et son humour ont toujours su distraire, même surtout durant les périodes compliquées. Il savait jouer de ses atouts, pour être le commissaire qu’on adorait détester, siffler à chaque draft ou remise de trophée, mais qui ne générait en somme aucune réelle antipathie. Sa dernière draft, en 2013, était un véritable one man show. Un concentré d’égocentrisme et d’autodérision, dont lui seul avait le secret.

Il est impossible de faire l’unanimité et laisser un héritage parfait en 30 années aux responsabilités. II est aussi impossible de rendre justice aux contributions d’un seul homme à un phénomène aussi large et complexe que la croissance du basket. Il est toutefois indéniable que David Stern a accéléré le processus par son innovation et sa résolution.

Il aura enrichi les propriétaires, les joueurs, et toutes les personnes associées de près ou de loin à la NBA. Il aura popularisé son sport là où il n’était que mineur auparavant. Il est le personnage le plus important de l’histoire du jeu n’ayant jamais foulé un parquet, l’impact de son action perdurera des générations encore. Lorsque David Stern a pris la suite de Larry O’Brien en tant que commissaire, rien de tout cela n’était garanti. La manifestation ultime de sa vision est qu’aujourd’hui, tout cela semble avoir été inévitable.