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Un an au pays des Lakers : une tragi-comédie en quatre actes

Un an au pays des Lakers : une tragi-comédie en quatre actes 8 September 2019

UN AN AU PAYS DES LAKERS : UNE TRAGI-COMÉDIE EN 4 ACTES

Sean M. Haffey/Getty Images

Pour la sixième saison consécutive, les Los Angeles Lakers ont manqué les playoffs. Dans une ligue qui prône et préconise la parité, toutes les équipes excepté les Suns, les Kings et les Pistons, ont remporté un match de phases finales plus récemment que les Lakers. Pis, depuis la disparition de Jerry Buss et l’intronisation de sa fille Jeanie à la tête de la franchise, en février 2013, seuls les Knicks ont perdu autant de matches qu’eux (329). Avec LeBron James, tout cela devait changer cette année. Tout cela aurait dû changer cette année. Il n’en a rien été.

ACTE PREMIER : LE RETOUR AVORTÉ DU FILS PRODIGUE​

Le 6 juillet 2017, un an avant que l’arrivée du sportif le plus médiatisé de tous les temps dans l’équipe de basket la plus célèbre du monde n’assourdisse la ligue de sa rumeur, les Pacers échangeaient Paul George au Thunder. George n’ayant eu cesse de clamer son amour pour sa Californie natale, tout ou presque laisser paraître que son escale au Thunder ne durerait qu’une saison jusqu’à la fin de son contrat, et qu’il ne puisse enfin revêtir le maillot des Lakers.

Seulement, une fois free agent, Paul George n’a même pas daigné accorder un entretien à son équipe de cœur avant de prolonger son bail à Oklahoma City. La raison ? Une pléthore d’information sur le fonctionnement (ou dysfonctionnement) interne des Lakers. Et n’en déplaise à Cersei Lannister, le savoir est bel et bien le pouvoir.

À Oklahoma City, George a évolué aux côtés de Corey Brewer après que celui-ci ait été coupé… par les Lakers, deux jours après l’investiture de Magic Johnson et Rob Pelinka à la direction sportive par Jeanie Buss, en février 2017. Mais surtout, Aaron Mintz, l’agent de Paul George, avait lui aussi goûté au chaos institutionnel sous le triumvirat Buss/Magic/Pelinka. Deux autres des clients de Mintz composaient le 5 majeur des Lakers : Julius Randle et D’Angelo Russell.

À leur arrivée, Johnson et Pelinka avait la claire ambition de se débarrasser de Timofey Mozgov et son contrat à 64 millions de dollars, pour faire place aux potentiels free agents Paul George et LeBron James. Mission réussie en envoyant Mozgov et D’Angelo Russell à Brooklyn, en juin 2017. Se séparer de Russell était un risque, mais l’attrait de superstars en valait la peine. Recevoir en contrepartie Brook Lopez et un choix de draft, devenu Kyle Kuzma, était un joli coup.

Mais plutôt que de s’en satisfaire, Magic Johnson n’a pas pu s’empêcher casser du sucre sur le dos de Russell dont, il faut insister, IL N’AVAIT PLUS LA CHARGE : “Nous le remercions de ce qu’il a fait pour nous, mais ce qu’il me fallait c’est un leader. Il me fallait quelqu’un qui puisse rendre les autres meilleurs et aussi quelqu’un avec qui les joueurs veulent évoluer.” 

La saison suivante, au tour de Julius Randle d’être malmené, voyant son rôle fluctuer de titulaire indiscutable à 6e homme discuté. Et quand les Lakers concentraient leur attention sur le recrutement de LeBron James, Randle redevenait le cadet de leurs soucis. L’été et l’heure de la free agency venus, Aaron Mintz a alors prié les Lakers de renoncer aux droits de son client, qu’il puisse s’engager où bon lui semble.

Comment se saborder en dix leçons. En deux, plus exactement. Et voilà Paul George de Los Angeles, idolâtre de Kobe Bryant, qui refuse la courtoisie d’un simple rendez-vous à l’équipe qu’il était voué à rejoindre. Et voilà les Lakers contraints de maintenir leur flexibilité salariale de juillet 2018 à juillet 2019. Le tout pour attirer une autre star, nonobstant la construction d’un groupe compétitif autour de celle qui les a choisis malgré tout.

Acte II : Une construction bancale​

Que faire quand le meilleur joueur de sa génération décide de vous rejoindre ? Option n°1 : l’entourer de shooteurs et suivre la recette qui a fait de lui un quadruple MVP, triple champion et légende vivante de son sport. Option n°2… :

30 juin 2018 : Les Lakers coupent Thomas Bryant pour ne pas garantir son salaire gargantuesque d’1,4 millions de dollars. Bryant rejoint les Wizards, où il sera une révélation de leur saison.

1er juillet 2018 : LeBron James rejoint les Lakers pour 4 ans et 153,3 millions de dolllars.

6 juillet 2018 : Kentavious Caldwell-Pope signe un nouveau contrat d’1 an pour 12 millions de dollars. Quand on peut prolonger un joueur moyen et en faire le deuxième salaire de l’effectif, on n’hésite pas.

Le même jour Rajon Rondo rejoint les Lakers pour 1 an et 9 millions de dollars. Quand on peut signer un joueur moyen et en faire le troisième salaire de l’effectif, on n’hésite pas.

8 juillet 2018 : Brook Lopez quitte les Lakers et rejoint les Bucks pour 1 an et 3,3 millions dollars. Visionnaire.

10 juillet 2018 : Lance Stephenson et JaVale McGee rejoignent les Lakers pour 1 ans et, respectivement, 4,4 et 2,4 millions de dollars.

23 juillet 2018 : Michael Beasley rejoint les Lakers pour 1 an et 3,5 millions de dollars. De l’art.

Le plan de Magic Johnson et Rob Pelinka était donc de faire de LeBron James un intérieur, avec des playmakers et (soi-disant) défenseurs pour maximiser ses atouts, malgré une décennie de succès indiquant le contraire. De la théorie à la pratique. Pour leur premier match de la saison, à Portland, les Lakers shootent à 7 sur 30 à 3 points (23 %) et s’inclinent 128-119. Deux jours plus tard, pour la première au Staples Center, le mayhem.

Une générale, 8 sur 25 à 3 points (25 %) et une deuxième défaite (115-124). Déficience à longue distance, caractères volatiles, et le jeune Johnathan Williams jeté dans le grand bain en l’absence d’un deuxième pivot de métier (Brook Lopez et Thomas Bryant vous saluent bien). Il n’a pas fallu plus de deux rencontres pour prouver l’aberration de l’idée de départ de Johnson et Pelinka.

La 4e place de la conférence ouest – à deux défaites de la 9e place et cinq de la 14e – au lendemain de la victoire à Golden State, n’était qu’un mirage de Noël. Les malheureuses blessures de LeBron James et Lonzo Ball, de fausses excuses. Le projet était un misérable échec parce que les recrues de l’été, hors James, n’étaient pas bonnes.

Rajon Rondo a été épouvantable en défense, Michael Beasley n’a joué que 26 matches avant de retourner en Chine et Lance Stephenson a créé plus de plans de air guitar que de jeux d’attaque cohérents. Peut-être réalisant leurs erreurs, Johnson et Pelinka ont comiquement échangé les prometteurs Ivica Zubac et Sviatoslav Mykhailiuk pour 19 matches de Reggie Bullock et 17 de Mike Muscala. Le genre de transactions qui, dans une organisation fonctionnelle, coûteraient leurs postes aux personnes responsables.

ACTE III : LE RUISSELLEMENT DE L’INCOMPÉTENCE​

Oui, mais voilà. Dans une ligue où les propriétaires les plus récents sont tous des investisseurs souhaitant diversifier leurs actifs et/ou passionnés de basket en quête de projet vaniteux, les Lakers demeurent une entreprise familiale. Les Buss sont, avec les Reinsdorf à Chicago, les seuls propriétaires dont la franchise NBA est la principale activité et source de revenus.

Quand toutes les autres équipes sont, avec plus ou moins de succès, en perpétuelle recherche d’avantages concurrentiels, les Lakers se tournent vers la famille. Quand toutes les autres équipes emploient du personnel à la pointe de l’analyse de donnés, les Lakers embauchent des amis, d’anciens joueurs ou entraîneurs, à la poursuite d’une splendeur passée. Les Lakers sont tant infatués par la gloire de leur image qu’ils en oublient l’essence de ce que fut leur prééminence.

Magic Johnson est l’un des six plus grands joueurs de l’histoire du basket. Un passeur de génie, un compétiteur absolu, savant de son sport devant l’éternel. Il s’est construit une fortune estimée à 600 millions de dollars en étant encore meilleur dans les affaires que ballon en main. Il est un philanthrope, une idole de la communauté afro-américaine et un symbole de la lutte contre le SIDA et le VIH.

Magic Johnson est aussi un égocentrique, qui entretient un rapport nocif à la médiocrité et ceux qui faillent à atteindre son excellence, dont les échecs gagnent en fugacité à mesure que son charisme n’enivre. Parce qu’il est Magic, il est nommé entraîneur des Lakers en mars 1994 sans la moindre expérience, avant d’abandonner 16 matches et deux mois plus tard. Parce qu’il est Magic, Disney lui offre son talk show en 1998, avant qu’il n’abandonne 12 épisodes et deux mois plus tard. 

Quelques heures avant le dernier match d’une saison calamiteuse, alors que la soirée devait appartenir à Dirk Nowitzki et Dwyane Wade, qui tiraient leur révérence au jeu, Magic a fait ce qu’il fait mieux que quiconque : attirer l’attention sur lui. Parce qu’il est Magic.

En 40 minutes d’une conférence de presse impromptue, Magic Johnson a démissionné de ses fonctions de président avant même de l’annoncer à “[sa] sœur”, son amie de 40 ans, sa patronne Jeanie Buss. Il a de nouveau blâmé l’immaturité de D’Angelo Russell, manquant l’ironie d’un homme, sexagénaire, quittant son poste devant les caméras du monde entier sans prévenir sa supérieure hiérarchique. Il a ri, a pleuré et a dressé, bien malgré lui, le portrait d’une organisation en désordre complet.

La question désormais est de savoir combien de temps les Lakers peuvent continuer sur le même chemin avant que les regards ne se tournent vers Jeanie Buss, la personne qui a offert le job à Magic Johnson en premier lieu. Celle qui lui a associé Rob Pelinka, parce qu’il a été l’agent de Kobe Bryant. Celle en charge d’une franchise où sont employés plus d’amis que de personnes qualifiées et compétentes. Celle qui a vu la première saison avec LeBron James gâchée, n’a quasiment rien changé pour la deuxième saison, sinon donner plus de pouvoir aux personnes responsables de la première.

ACTE IV : UN CHAT RETOMBE TOUJOURS SUR SES PATTES

La réponse est encore longtemps. Tel est le propre des tragi-comédies et des Los Angeles Lakers : un dénouement heureux, peu importe les bévues commises pour y arriver. L’incarnation même du privilège. Une équipe dont la demi-décennie d’impéritie a été récompensée la venue du meilleur joueur du monde. Et qui, un an plus tard, au terme dune désolante recherche d’un nouvel entraîneur, se retrouve avec un homme fait pour la situation. Aussi immérité que ce soit…

La plus grande qualité de Frank Vogel est de fomenter l’adhésion de ses joueurs, leur investissement sur la durée. Depuis 2010, seuls deux coaches ont réussi à avoir une des 10 meilleures défenses de la ligue, cinq années d’affilée : Gregg Popovich avec les Spurs et Frank Vogel avec les Pacers.

Les équipes de Vogel sont constamment parmi les plus casse-pieds à jouer. En 2013, les Pacers ont poussé la meilleure version de la dynastie du Heat, et possiblement la meilleure version de LeBron James, à un match 7 en finales de conférence. Une série qui, au-delà des moments de comédie qu’elle nous a offert, a surtout intronisé le concept de verticalité et popularisé l’utilisation du pivot pour défendre le pick-and-roll. Feu Roy Hibbert.

L’année suivant le départ de Frank Vogel, les Pacers sont passés de la 3e meilleure défense de la ligue à la 16e. Peu importe son modeste bilan en tant qu’entraîneur principal (304 victoires pour 291 défaites), Vogel a donné du fil à retordre à l’une des meilleures collections de talents jamais assemblée avec un Paul George nourrisson, Lance Stephenson, George Hill et David West. Surtout, ses Pacers avaient une identité, une marque de fabrique. Ce dont les Lakers ont cruellement manqué cette saison, même avec LeBron James.

Le passage de Frank Vogel à Orlando après l’Indiana n’est pas à ignorer. Les inquiétudes sur sa capacité à construire une attaque moderne sont légitimes, et tout dépendra de l’approbation et l’implication de LeBron James. Car, il n’est pas un coach sur terre capable de bâtir une bonne défense avec quatre joueurs et un pantin.

Il n’empêche que Frank Vogel est un bon entraîneur. À la faveur de la loterie de la draft tournant en leur faveur, les Lakers ont pu acquérir Anthony Davis et commenceront la saison avec deux des sept meilleurs joueurs du monde. Danny Green a été créé dans un laboratoire pour s’accorder au jeu de LeBron James. Malgré l’exécration que suscitent ses zélotes, Kyle Kuzma reste une force offensive notable. Les Lakers sont parmi les favoris pour succéder à Toronto, et le monde est injuste.