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L’importance des quarterbacks remplaçants est cruellement sous-estimée

L’importance des quarterbacks remplaçants est cruellement sous-estimée 31 October 2019
Jonathan Bachman/Getty images

Quarterback remplaçant ressemble parfois au meilleur métier du monde. Prenez par exemple la carrière de Chase Daniel, aujourd’hui backup de Mitchell Trubisky à Chicago. En l’espace de 11 saisons, il a amassé plus de 34 millions de $, le tout en ayant été titularisé qu’à cinq reprises et lancé la bagatelle de 214 passes. Soit un fructueux ratio de 160 301 $ par passe, qui n’ont d’ailleurs jamais été de grande qualité, auquel cas il aurait eu l’opportunité d’en lancer beaucoup plus. Comme Daniel, ils sont deux autres, encore employés dans la ligue, à avoir gagné plus d’1 million de $ par match qu’ils ont débuté : Drew Stanton (32 millions de $ en 17 titularisations) et Mike Glennon (29 millions de $ en 22 titularisations). Des braquages en plein jour.

Pour être honnête, quarterback remplaçant est un métier aussi unique en NFL que ne le serait une pensée inclusive dans l’esprit d’Éric Zemmour. Les running backs remplaçants ont fréquemment du temps jeu, souvent utilisés sur troisième down ou sur courtes distances pour franchir la ligne d’en-but. Les receveurs remplaçants entrent en jeu après que les titulaires aient couru plusieurs tracés en profondeur d’affilée. Les tight-ends, linemen défensifs, linebackers et autres defensive backs remplaçants entrent tous en jeu quand des formations spécifiques le nécessitent. Il n’y a en revanche pas de quarterbacks de troisième down, de courtes distances ou de slot quarterbacks. Il y a un titulaire et son substitut, le premier jouant idéalement 100% des snaps offensifs. Bien tristement, à l’exception des Saints et leur lot de jeux pour Taysom Hill, peu d’autres équipes semblent intéressées par des formations à deux quarterbacks. 

Les entraîneurs sont réticents à délayer la production du poste le plus important, celui dont les actions influent le plus la performance de son escouade, en distribuant des jeux aux remplaçants. Seulement, la vie en NFL est tout sauf le monde des Bisounours, où les backups s’asseyent sur le banc, rêvassent et gribouillent sur leurs ardoises (ou leurs tablettes Microsoft Surface dernier cri…). 

Chuck Cook/USA Today

Bien qu’elles ne fassent rarement appel à eux volontairement, beaucoup d’équipes doivent faire avec les blessures de leur quarterback titulaire. Après 8 semaines, ils sont déjà 7 à avoir manqué des matches sur blessure, sans compter la retraite prématurée d’Andrew Luck, deux semaines avant le début de la saison. Les Jets et les Steelers ont même dû recourir au remplaçant du remplaçant après les blessures de Trevor Siemian et Mason Rudolph. 122 matches ont été disputés cette année, autrement dit 244 titularisations de quarterback à pourvoir. 27 d’entre elles, soit 11%, l’ont été par des doublures.

Néanmoins à regarder les derniers exercices, il apparaît évident que cette année n’est en réalité pas une anomalie. En 2018, seulement 16 quarterbacks ont joué les 16 rencontres de saison régulière, dont Aaron Rodgers qui avouera ultérieurement avoir subi une fracture tibiale dès la semaine 1, et Deshaun Watson qui a dû faire un déplacement en bus plutôt qu’en avion à cause d’une contusion pulmonaire. (Ce sport est absurde). 4 autres (Blake Bortles, Sam Bradford, Jameis Winston et Drew Brees) ont été mis sur le banc à cause de contre-performances ou pour être mis au repos. Les 12 derniers se sont blessés. Et 2018 était l’année avec le moins de matches manqués par des quarterbacks en six ans. Une analyse de Football Outsiders estimait en 2016 que les quarterbacks titulaires manquaient en moyenne 84 matches par an, 16% du total de la saison. Contrairement aux apparences, 2019 est en fait un cru raisonnablement bon. 

À en croire l’histoire récente, le sort d’une équipe peut ne dépendre que de la valeur de son quarterback remplaçant. L’exemple le plus flagrant étant celui des Eagles en 2017, qui ont remporté le Super Bowl malgré la blessure de Carson Wentz, parce que Nick Foles a fait prévaloir la taille de son phallus comme peu avant lui. Ave Big Dick Nick. Cette année, les Colts affichent un bilan de 5-2 et sont premiers de leur division moyennant les prouesses de Jacoby Brissett, qui a pris la suite d’Andrew Luck. Les Saints ont joué et gagné cinq matches sans Drew Brees, grâce aux 9 touchdowns et seulement 2 interceptions de Teddy Bridgewater. Grâce à lui, New Orleans est fermement en tête de sa division, en lice pour obtenir un bye au 1er tour des playoffs et même l’avantage du terrain dans la Conférence nationale. Corrélation ou causalité, Bridgewater est le backup le mieux payé de la ligue. 

À l’inverse, il y a pléthore d’exemples de saisons ayant chaviré parce que le commandant de bord était suppléé par un second inapte à gouverner la franchise. Washington avait un bilan de 6-3 quand Alex Smith s’est cassé la jambe en novembre dernier. La combinaison de Josh Johnson, Colt McCoy, et Mark Sanchez a perdu six des sept derniers matches, et un an plus tard Jay Gruden est au chômage. En 2017, les Texans avaient l’étoffe d’une équipe de playoffs avant que leur rookie Deshaun Watson ne se rompe les ligaments croisés du genou. Tom Savage et T.J. Yates ont perdu huit des neuf matches suivants. L’année précédente, Derek Carr avait mené les Raiders à 12 victoires en saison régulière en lançant 28 touchdowns contre 6 interceptions. Après sa blessure en semaine 16, Oakland avait pris la route des playoffs avec Connor Cook, qui contribua largement à sa défaite contre Houston en lançant trois interceptions. Cook n’a plus joué en NFL depuis.

Plutôt Moore ou Big Dick Nick

Blague sur leur rémunération à part, on peut légitimement arguer que l’importance des quarterbacks remplaçants est en fait sous-estimée. Si le quarterback est le joueur le plus important sur le terrain, alors avoir un intérimaire de qualité est plus indispensable que la plupart des franchises ne semblent le réaliser.

Il existe deux théories quant à l’appréciation de la valeur d’un quarterback remplaçant. Nous baptiserons la première la Théorie Tom Moore, du nom de l’ancien coordinateur offensif d’Indianapolis. Elle suppose que lorsqu’un un quaterback titulaire se blesse, son équipe perd de toute façon tout espoir de gagner quoi que ce soit. Pourquoi alors user de précieuses ressources dans l’acquisition d’un bon remplaçant ? Tom Moore l’a parfaitement résumé en une anecdote, racontée par Ron Jaworski dans son livre The Games That Changed the Game. Répondant au fait que Peyton Manning trustait la totalité des snaps à l’entraînement, au détriment de ses backups, Moore dit : “Si le n°18 tombe, on est baisé… et on ne s’entraîne pas à être baisé.” 

Si la formulation employée par Moore est aussi fleurie que le jardin d’Éden, sa prémisse est partagée par la majorité de la ligue. En 2015, Brandon Weeden en avait même invoqué le ciel pour ne pas avoir à remplacer Tony Romo. (Spoiler : Weeden a dû remplacer Romo pendant 3 matches, 3 défaites. Satané Seigneur). Plus tôt cette saison, lorsqu’il était relaté que Dwayne Haskins n’avait aucun snap à l’entraînement avec les titulaires de Washington, son coéquipier Chris Thompson réagissait sur Twitter, abondant dans la Théorie Moore.

De même, Matt Moore ne s’est pas entraîné la moindre seconde avec les titulaires des Chiefs avant de prendre la relève de Patrick Mahomes, et Sam Darnold a continué de jouer les snaps avec le groupe 1 des Jets, même souffrant de la mononucléose et d’une hypertrophie de la rate. (Ce sport est absurde).

Tous les dirigeants savent qu’un changement de quarterback s’accompagne inévitablement d’une baisse du niveau de performance. Le temps d’entraînement autorisé par la convention collective de travail en vigueur étant limité, la plupart préfèrent utiliser ce temps à perfectionner le scénario idéal, pas celui prenant compte d’une blessure malvenue. Les backups s’entraînent très peu avec les titulaires et n’ont, si tout se passe bien, jamais à entrer en jeu.  

Ce qui nous amène à la deuxième théorie, que nous baptiserons la Théorie Nick Foles, ou Big Dick Nick, c’est selon. Son postulat présume que les équipes investissant dans un quarterback remplaçant de la trempe du titulaire moyen en récolteront les fruits le moment venu. Et ce précepte s’est largement vérifié. Les Saints n’ont pas obtenu Teddy Bridgewater par hasard, ils ont échangé un 3e tour de draft pour cela en 2018, et ont fait de lui l’un des backups les mieux payés de l’histoire cette intersaison, à 7,25 millions de $. Les 5 millions de $ offerts à Nick Foles par les Eagles en 2017 avaient aussi provoqué une certaine stupéfaction, avant que son état de grâce offre son premier titre à Philadelphie.

Mais, ces exemples couronnés de réussite n’ont pas engendré de tendance à travers la ligue. Seulement trois franchises rémunèrent leur joueur désigné comme quarterback remplaçant au début de la saison 2019 plus de 5 millions de $. Neuf le payent entre 3 et 5 millions de $, les vingt autres 2 millions ou moins. Une conjecture étonnante au vu des succès précédemment énoncés, même si le salaire versé n’est évidemment pas proportionnellement lié à la production reçue. Payer le 50e meilleur quarterback 5 millions de $ ne garantit en rien qu’il joue comme le 33e meilleur. Certaines semaines, il n’a même pas l’air d’y avoir 32 titulaires aptes à jouer en NFL, encore moins un réservoir de remplaçants corrects.

Aussi tentant soit-il de dire du marché des backups qu’il est un créneau largement inexploité, force est d’admettre qu’il est impossible pour tout le monde d’avoir un Bridgewater, un Foles ou un Brisset prêt à prendre le relais en cas de pépin. Alors que faire ? Les réussites de Gardner Minshew à Jacksonville et Kyle Allen à Carolina, malgré le peu d’estime dont ils faisaient l’objet au moment de leur draft, semblent indiquer la capacité d’adaptation des quarterbacks provenant d’attaques air raid, à l’université. Il serait par ailleurs fort malhonnête d’omettre la couleuvre que persiste à nous faire avaler la NFL depuis trois ans maintenant. Colin Kaepernick possède la 23e meilleure évaluation de l’histoire du jeu et est au chômage pour avoir daigné protester contre les meurtres d’hommes de couleur par des policiers. Il serait immédiatement le meilleur quarterback remplaçant de la ligue, et même supérieur à bien des titulaires. 

Cependant, même lorsqu’elles trouvent un excellent backup, les équipes ne sont généralement pas en mesure de le garder très longtemps. Elles doivent soit le promouvoir et le payer en tant que tel comme Indianapolis avec Jacoby Brissett, l’échanger comme New England avec Jimmy Garoppolo et Brissett, ou le laisser partir lors de la free agency comme Philadelphie avec Nick Foles. C’est le pari pris par Teddy Bridgewater, dont il est déjà pressenti qu’il signera un contrat fichtrement lucratif à la prochaine intersaison. Tout bon quarterback remplaçant est en somme le résultat d’un bref moment où l’ensemble de la ligue a incorrectement évalué sa valeur.   

La Théorie Foles est en partie juste : avoir un remplaçant de haut niveau peut sauver une saison tout autant qu’en faire défaut peut la détruire. La Théorie Moore est aussi partiellement vraie : donner un gros chèque à un backup incompétent est l’exact équivalent de jeter de l’argent par la fenêtre. S’il est une leçon à retenir de ces dernières années, c’est que les équipes devraient dédier plus de leurs ressources à la recherche d’un remplaçant adéquat, avant même de penser à son éventuel salaire. Et que les équipes plus chanceuses que celle qui ont un bon deuxième quarterback sont celles qui n’ont jamais à y recourir.