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Chez les Knicks, tout change et tout reste pareil

Chez les Knicks, tout change et tout reste pareil 10 December 2019
Gregory Shamus/Getty Images

La première nuit du mandat intérimaire de Mike Miller n’était, somme toute, pas si différente des précédentes sous David Fizdale. L’itinéraire change, mais la destination reste la même. Samedi, les Knicks se sont inclinés face aux Pacers (103-104), la torpeur des deux défaites ultérieures – de 44 et 37 points – ayant fait place à la désolation et au chagrin. Julius Randle, pas au mieux pour sa première saison à New York, a manqué le lancer franc de l’égalisation à 0,1 seconde du terme. Une 19e défaite synonyme de plus mauvais bilan du championnat, comme un symbole de l’état de dysfonction permanent de la franchise.

La veille, David Fizdale avait été démis de ses fonctions mais, au grand dam de leurs fans, les Knicks sont les cancres de la ligue depuis deux décennies pour des raisons qu’un simple changement d’entraîneur ne peut résoudre. Fizdale, comme tant avant lui, s’en est allé un homme libre, avec l’allocation chômage James Dolan. Un vrai changement de direction n’interviendra que lorsque l’acariâtre et inepte personne en charge remettra profondément sa gestion en question.

Cela n’est pas pour absoudre Fizdale de tout tort. Son équipe n’a pas donné l’air de s’investir plus que le minimum syndical ne le requiert. Ses rotations étaient imprévisibles et parfois illogiques, aucune identité offensive n’est ressortie en une saison et demie, et trop souvent la défense est tombée dans l’inertie. Il est apprécié de ses joueurs parce qu’il les habilite à user d’éléments de leurs jeux que d’autres entraîneurs les forcent à abandonner. Une vertu devenue vice à New York, où le talent des joueurs n’était pas digne de telles largesses. 

Mais Fizdale était aussi et surtout une victime de son environnement. À son arrivée en mai 2018, Kristaps Porzingis était le joyau de la couronne, la partie non affectée par la décomposition de la Grosse Pomme. Au mois de février suivant, il était parti, échangé à Dallas contre des choix de draft que Luka Doncic s’occupera de rendre modiques, Wesley Matthews, DeAndre Jordan, Dennis Smith Jr., et de la marge sous le plafond salarial l’été suivant. Le triste et traditionnel chant des sirènes qui fait chavirer l’embarcation des Knicks sur les rivages de la free agency, chaque fois qu’une star entre sur le marché.

James dolan au centre de tout

Pour trouver les principaux responsables de cette énième calamité, c’est au-dessus qu’il faut regarder. James Dolan, encore et toujours James Dolan. Aucun autre propriétaire n’embauche et ne licencie de coaches et de dirigeants aussi fréquemment que lui. Aucun autre propriétaire ne cause autant de ravages et d’instabilité que lui. Aucun autre propriétaire n’a à ce point gaspillé les avantages dont il dispose que lui. 

Cet effectif a été construit par Steve Mills, le président des Knicks, et Scott Perry, son general manager. Mills, qui a été personnellement recruté par Dolan, embauché, réembauché et promu trois fois depuis 2003, sans jamais produire de résultats. Mills est entré dans le monde de la NBA en tant que dirigeant commercial, d’abord pour la ligue, puis pour le Madison Square Garden. Il n’avait jamais travaillé une seule minute dans le secteur sportif stricto sensu, avant que Dolan lui confie la direction des opérations basket en 2013. 

Six petits mois plus tard, Mills était relégué à un rôle secondaire pour faire de la place à Phil Jackson, l’un des plus grands entraîneurs de l’histoire, mais qui lui non plus n’avait pas la moindre expérience à la direction sportive. Un débutant menant un autre débutant, pour les résultats que l’on connaît. Dolan voulait Mills parce qu’il est un loyaliste invétéré. Il voulait Jackson pour se dédouaner de toute responsabilité, quand la situation allait inévitablement imploser.

Avec ce tour de passe-passe, naïvement assisté par certains journalistes locaux, Dolan a donné l’illusion qu’il serait un propriétaire jupitérien, au-dessus des décisions sportives et de représailles puériles, comme il en avait pris l’habitude. Mais chassez le naturel, il revient au galop. C’est lui qui a ordonné l’expulsion de Charles Oakley du Garden, parce qu’il avait daigné pointer du doigt les faillites de son équipe, celle dont il est l’un des meilleurs joueurs à avoir porté le maillot. Et puisqu’avoir une ancienne gloire escortée par la sécurité ne suffisait pas, c’est Dolan qui a demandé la rédaction d’un communiqué aussi court qu’insultant à son égard.

Une trame d’ailleurs récurrente à voir la manière dont ont été ostracisés Carmelo Anthony et Kristaps Porzingis à l’orée de leurs départs respectifs. Le trade de Porzingis, en lui-même, était défendable, compte tenu de son mécontentement et des froides relations qu’il entretenait avec ses dirigeants et son entraîneur. Seulement, jamais les Knicks se sont interrogés sur les sources dudit mécontentement, qui ont poussé le joueur le plus populaire de l’équipe la plus populaire de la plus grande ville des États-Unis à demander l’addition et de partir avant le dessert. 

C’est Dolan qui a donné de faux espoirs à ses supporters et mis une pression inutile sur sa franchise en prédisant, au printemps dernier, que des superstars la rejoindraient. C’est encore lui qui a sommé Mills de livrer une déclaration au journaliste Marc Stein, juste après que Kevin Durant et Kyrie Irving aient annoncé leur décision de rallier Brooklyn. 

Une conduite d’autant plus étrange que la période de free agency venait à peine de débuter. Les Knicks avaient devant eux l’opportunité d’utiliser leur espace salarial pour récupérer les contrats dont d’autres équipes souhaitaient se débarrasser, au prix de choix de draft qui leur auraient été bien utiles. Ce qu’a fait Atlanta a fait avec Allen Crabbe ou Memphis avec Andre Iguodala et Josh Jackson. Au lieu de ça, ils ont opté pour la signature d’autant d’ailiers-forts qu’il en faudrait pour trois équipes et attendaient de David Fizdale qu’il remporte des matches avec ce bric-à-brac. 

Ce qui était voué à l’échec est allé à l’échec et, après la 8e défaite de la saison, Steve Mills et Scott Perry ont tenu une conférence de presse inopinée, qui transpirait la panique.

“Nous avons de la patience”, a déclaré Mills, deux semaines après le début de la saison, sans une once d’ironie. Cette conférence de presse était la parfaite manifestation de l’incompétence managériale en NBA : des attentes irréalistes, de l’ingérence, des réactions excessives et de la dysfonction interne. Et il y a fort à parier que James Dolan était aussi à l’origine du tweet s’offusquant d’une blague anodine de Richard Jefferson, au commentaire d’un match pour ESPN.

Les Knicks sont bien en route une 7e saison consécutive avec un bilan négatif, la 17e en 19 ans. Sur cette période, ils ont employé 13 entraîneurs et 7 general managers différents, dont les renvois ont tous été plus hideux les uns que les autres. Certains sont arrivés avec un CV ronflant, d’autres avec la promesse d’un avenir radieux. Tous sont repartis de New York avec un parachute doré et leur réputation en lambeaux. 

En dépit du manque de cohérence dans l’effectif des Knicks, on y trouve tout de même un peu de qualité. RJ Barrett montre déjà le sens du jeu d’un vétéran et un caractère intrépide en défense, Mitchell Robinson contre 8,9% des tirs adverses quand il est sur le parquet et Ignas Brazdeikis est largement au-dessus du niveau de la G-League à laquelle il est trop souvent assigné. Et qui sait, Mike Miller ou son successeur pourra peut-être réveiller Frank Ntilikina et Kevin Knox des léthargies offensive et défensive dans lesquelles ils sont respectivement plongés.

L’inexorable moulin à rumeurs s’est mis à tourner, mais ce poste d’entraîneur est des moins désirables qui soient. Seul Mike Woodson a tenu plus de trois saisons complètes depuis 2001. Il n’y a aucune sécurité de l’emploi, les attentes et la pression médiatique sont démesurées, les fausses donnes sont endémiques, et le propriétaire change de cap aussi souvent qu’un bureaucrate soviétique pendant la Guerre froide.

Dans leur malheur, les Knicks ont parfois engagé des coaches et dirigeants compétents (Donnie Walsh, Larry Brown, Mike D’Antoni). Mais cela n’a jamais importé, parce que la chaloupe a toujours fini par tanguer. Tout cela ne pourra changer que d’une manière ou d’une autre : soit Dolan vend l’équipe (ne le dîtes pas trop fort ou il vous bannira du Garden), soit il confie enfin la direction sportive à une personne sagace et expérimentée, lui confère une complète autorité pour faire le ménage et reconstruire l’organisation, sans quelque interférence que ce soit.

Le problème est qu’il n’a aucune espèce de motivation à le faire. Les Kincks ont perdu plus de matches que quiconque depuis 2013, leur centre d’entraînement est parmi les plus vétustes de la ligue, tout comme leur salle pourtant rénovée en 2013. Et malgré cela, tous leurs matches se jouent à guichets fermés et la valeur de la franchise est en hausse de 11% par rapport à l’année dernière, selon Forbes. Le comble des supporters new-yorkais est que leur fidélité est le principal frein à toute évolution.

Il y aura un nouvel entraîneur, un nouveau general manager, un nouveau prétendu sauveur. Il y aura de nouvelles conférences de presse et interviews. Il y aura la promesse d’une nouvelle ère et la lueur fugace d’une nouvelle aube. Mais il y aura James Dolan, son ego et son impéritie. Ainsi va la vie, ainsi vont les Knicks.